Scavmarines partie 4 : « Le monstre vert »

Par , Le 7 février 2025 (Temps de lecture estimé : 10 min)

Dans le silence de l’espace, un vaisseau s’éveille. Mike, éclaireur usé par les étoiles, sort de stase pour une mission : explorer Luxaris, une planète jungle aussi hostile que prometteuse. Entre promesses marketing et réalités mortelles, l’aventure commence.

mike town

“Bip, bip, bip…” 

Un son électronique brisa le silence, tel un coq matinal qui annonçait la fin de l’obscurité. Des cliquetis mécaniques rapides se mirent à leur tour à se faire entendre, suivis de près par le son rapide des bandes magnétiques qui se recalibraient. C’était maintenant au tour du chant particulier des écrans qui reprenaient vie dans une lueur verdâtre. Tels des paons numériques, ils déployaient de longues colonnes de données vertes sur fond noir, défilant à toute vitesse. Toute cette petite basse-cour se mit en branle simultanément sous le son monotone bienveillant des recycleurs d’air et du grondement lointain des propulseurs. Les voyants carrés des panneaux de contrôle s’illuminaient dans un ballet lumineux, passant du jaune vif au rouge puis au vert, comme une respiration électronique. Le vaisseau se réveillait. Un par un, dans un claquement,  les néons de l’éclairage tactique s’allumaient enfin, le bouquet final.

Un peu plus loin dans le module de stase, un CSAP -Caisson de Stase Amniotique Presurisé- se mit lui aussi à s’agiter. À travers son hublot central, on apercevait le visage buriné d’un homme d’une quarantaine d’années bien tassé. Les cheveux grisonnants taillés à la militaire et sa barbe grise étaient complètement englués par le liquide orange qui remplissait le caisson. Son visage buriné, figé par la stase, portait des traces de l’épreuve du temps. Ses traits étaient rigides, comme sculptés dans de la pierre, et malgré l’immobilité artificielle il dégageait une aura d’invincibilité.. Les cicatrices et les sourcils fournis finissaient d’agrémenter le tableau. Sur le flanc du dispositif, un petit écran affichait les données vitales de l’homme avec en plus du logo pixelisé de LebelTech, les Inscriptions “Mike M. Matricule LBT2476.5634”.

Une voix synthétique grésillante émergea depuis les haut-parleurs du module :

– Système en cours de réactivation…Stand-by…Stase Amniotique Pressurisée : Vidange complète… Check… Processus de réanimation en cours. Stand-By… Paramètres vitaux : stables. Check… Réveil du personnel confirmé.

Le silence du module fut brisé par un bruit sourd de soupapes s’ouvrant sous pression. Un claquement sec retentit, suivi d’un sifflement humide tandis que la cuve de stase se déverrouillait. Une fine brume s’échappa du joint d’étanchéité avant que les parois ne glissent lentement vers l’extérieur. Le liquide amniotique, dense et gluant, forma une flaque visqueuse où se reflétaient les diodes pâles du tableau de contrôle.

L’homme, encore engourdi, luttait pour reprendre pied dans la réalité. L’air, inspiré pour la première fois depuis trop longtemps, lui brûlait les poumons. Il était couvert d’électrodes et maintenu debout par un harnais noir. Le ruissellement du liquide sur son corps amplifiait la morsure glaciale de l’habitacle encore imprégné de la torpeur du mode veille. D’un effort maladroit, il ouvrit les yeux, détacha le harnais de sécurité… et s’effondra lamentablement au sol.

Avant même de pouvoir faire quoi que ce soit d’autre, il vomit tripes et boyaux.

Les haut-parleurs reprirent du service en diffusant le jingle passé de mode depuis des lustres de LebelTech puis la voix synthétique masculine prit le relais : 

– Hello, hello ! Félicitations, vous êtes officiellement sorti de votre bocal !” Un extrait sonore de foule en délire se fit entendre puis la voix continua “Vous venez d’émerger d’une stase prolongée et, statistiquement parlant, vous avez environ 76 % de chances de ressentir des nausées, 42 % d’expérimenter une désorientation temporaire, et 100 % d’être en vie. C’est formidable non ? » La voix marqua une pause puis reprit.

–  Je suis R3NTR-0N, intelligence artificielle homologuée par LebelTech et interface principale du Pionnier-4. Ma mission :” Musique de suspens “Assurer le bon déroulement de votre réveil, superviser l’état du vaisseau, fournir un appui au sol et, accessoirement, éviter que vous ne mouriez bêtement !” s’en suivit des rires forcés de sitcomSi vous souhaitez une assistance médicale, appuyez sur le bouton correspondant. Et bien sûr, si vous souhaitez une assistance psychologique, comptez sur moi ! N’oubliez pas, dorénavant nous sommes meilleurs amis ! »

Mike leva les yeux vers les dispositifs de diffusion, fit un doigt d’honneur dans leur direction, puis se releva péniblement pour prendre la direction du module de vie.

Les quartiers étaient spartiates, mais fonctionnels. Sur la droite, une bannette encastrée munie d’un matelas à une place standard. En face, contre la cloison, une petite table rectangulaire aux angles coupés sur laquelle trônaient un terminal et son clavier mécanique. Devant, un tabouret à pas de vis de hauteur réglable, coiffé d’une assise en imitation cuir craquelé. Sur la gauche, un casier de rangement, quelques étagères métalliques et un système ultra compact de douche qui faisait également lavabo et w.c. Le luxe industriel à portée de mains ! Mais pour un type comme Mike, qui avait passé beaucoup trop d’années à bourlinguer sur ce genre de vaisseaux, c’était ce qui se rapprochait le plus d’un foyer.

Il entra dans le poste équipage comme un matelot ivre en escale. Ses muscles étaient raides, engourdis. Il avait l’impression que son corps pesait une tonne, et chacun de ses mouvements déclenchait une vague de fourmillements désagréables. Sa gorge était sèche, un goût métallique collé au fond du palais. Son crâne pulsait d’une douleur sourde, le genre de mal de tête qui accompagnait toujours les réveils après une longue stase, ou les cuites. Il grimaça et se dirigea vers la douche, histoire de retrouver une forme humaine et de remettre ses idées en place.

Les phases de SAP longues causaient souvent confusion, désorientation et, dans certains cas extrêmes, des comportements psychotiques… Mais Mike en était bien loin. Il connaissait la procédure, il savait que son cerveau allait lui jouer des tours pendant quelques heures. Il suffisait de reprendre le contrôle, de ne pas laisser les fragments de rêves sous sédatif s’accrocher trop longtemps.

Une fois la douche terminée, il enfila sa combinaison de saut grise, flanquée du logo LebelTech. Il s’assit sur le tabouret inconfortable, prit une cigarette dans le paquet laissé sur le petit bureau avant sa stase et l’alluma.

– Hello, hello ! Une pénalité de niveau 2 vient d’être ajoutée à votre dossier. Il est formellement interdit de fumer à bord des vaisseaux de Leb…

– Ta gueule !

L’IA se tut aussitôt.

Ils sont capables de créer des programmes intelligents qui calculent des trajectoires Gravifronde sur des milliards de mégamètres, pour arriver à la vitesse voulue à l’endroit voulu, mais ils sont incapables de leur apprendre à ne pas casser les couilles aux gens le matin…, se dit intérieurement Mike.D’ailleurs, le matin… C’était une notion plutôt abstraite. En sortie de stase, dans le vide spatial, la situation temporelle était quand même difficile à définir. Il alluma son terminal et entra ses codes d’accès. Le logo pixelisé de LebelTech apparut.

lebeltech

Deux ans. Cela faisait deux années terriennes standard qu’il fendait l’espace vers sa destination et son nouveau boulot. Il consulta ses messages et, parmi quatre relances de demande de divorce ainsi que des avis de comparution au tribunal privé pour pensions impayées, il trouva enfin le dossier qui l’intéressait.

Dossier 4676 : Luxaris – Parcelle LXT345

Il l’ouvrit. La ramification des fichiers s’étendit sur l’écran. Comparé à d’autres missions qu’il avait effectuées, le dossier n’était pas très volumineux et les informations restaient limitées. Il sélectionna le fichier principal :

Base de données Lebeltech – Dossier Planétaire

Nom : Luxaris
Système : Citea Lactalis
Distance du Système Sol : 18,92 trillions de kilomètres (18 922 000 Mégamètres)
Durée de transit via Réseau Gravifronde : 2 AST (Années Standard Terriennes)
Désignation officielle : Planetea Junglae LX-47-B
Découverte : Il y a 47 années standard par Weyton Miyagi Exploration Corp.
Statut : À vendre – Zone d’intérêt biotechnologique, fort potentiel pour complexes touristiques et colonies civilisationnelles.

Données générales

Type planétaire : Tellurique, forte biosphère

Taille : 1,1x Terre
Gravité : 1,02 G
Atmosphère : Respirable (O₂/N₂) – Humidité élevée
Température moyenne : 23°C
Rotation : 27 heures standard
Révolution : 387 jours standard
Satellites naturels : 2 (nommés provisoirement LX-Maj et LX-Min)

Planète jungle… Le putain de monstre vert, se dit Mike.

Les planètes jungles étaient rares. Et redoutées. La faune et la flore explosaient littéralement dans ces environnements, formant une symphonie toxique et vorace. Les éclaireurs en parlaient comme de terrains de chasse inversés, où l’explorateur devenait la proie et le sol un piège à chaque pas. Mike avait écumé ce qu’on appelait la Dernière Frontière pendant vingt ans, en retirant les périodes de stase. Tous les mondes habitables aux confins de l’univers connu par l’humanité… Pour le moment. Mais ici, c’était autre chose. Ces mondes-là détestaient la présence humaine. Le boulot était simple : se poser, cartographier la parcelle, traiter les menaces, aménager la future colonie, et surtout ne pas crever d’une xéno-chiasse fulgurante, histoire de pouvoir encaisser le chèque. Un dernier fichier attira alors son attention. Une vidéo nommée « Spot Luxaris – Weyton Miyagi ». Il l’ouvrit.

Après une introduction beaucoup trop longue et ringarde, le logo de la corporation tournoyant dans l’espace, suivi d’un enchaînement grotesque de mondes découverts sur fond d’une musique digne des plus grands holofilms érotiques amateurs. L’image se stabilisa sur un homme face caméra. Costume gris, chemise blanche, cravate rouge plastifiée à l’extrémité droite, comme ça se faisait encore il y a quarante ans. Derrière lui, une jungle épaisse et luxuriante. Son sourire de VRP trahissait une gêne évidente. Son regard fixe, mal à l’aise, révélait qu’il n’était clairement pas familier avec l’exercice.

–  Salutations, je me présente Billy Jenkins directeur commercial du secteur Citea Lactalis de Weyton Miyagi !…

Sans aucune raison apparente Mike répondit de son éternelle voix grave et blasée :

–  Salut Billy… 

La vidéo continua :

– … Bienvenue sur Luxaris, la perle verte du système Citea Lactalis ! Un monde d’opportunités, où la nature luxuriante et la technologie humaine s’unissent pour bâtir un avenir florissant.

Derrière lui, une cascade majestueuse s’étalait entre deux falaises couvertes de végétation. Probablement une prise de drone préenregistrée.

– Que vous soyez un investisseur visionnaire, un pionnier en quête de nouveaux horizons, ou simplement à la recherche du lieu idéal pour un projet touristique d’exception, Luxaris vous tend les bras.

Nouveau fondu enchaîné. Cette fois, des modélisations holographiques de complexes hôteliers ultramodernes apparaissaient sur la jungle, fondues sur l’image comme si c’était déjà une réalité. Du pur délire marketing. Mike haussa un sourcil. Ils avaient osé.

– Rejoignez-nous ! Faites partie de la prochaine grande aventure de l’humanité !

Un dernier plan montrait une famille souriante, marchant sur une plage immaculée qui n’existait sûrement même pas sur Luxaris.  Mike soupira en écrasant sa cigarette. Il se demandait combien de VRP comme ce mec avaient vendu des paradis verts qui finiraient en cimetières coloniaux… Il enfila à son poignet son terminal de contrôle, pianota une commande puis se releva du tabouret.

– Le R ! Lance les moteurs et prépare l’atterrissage ! On va voir si Billy dit des conneries ou pas…

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Scav

Le Scav, fondateur et Grand Khan de la seule nation forestière libre et nomade du vieux continent : Le Scavistan.