Le calme trompeur précède le chaos. Coincés dans un vieux vaisseau, les soldats, sous les ordres du Quartier-maître, se préparent. Une pluie de feu et de métal s’abat sur eux, transformant l’avant-poste en un paysage apocalyptique. Chaque seconde devient une lutte pour survivre face à une destruction implacable.
Les tirs se sont arrêtés instantanément quand le rayon de ciblage laser orbital a transpercé le ciel gris au-dessus de Mike Town. Toujours coincé dans l’habitacle de l’ancien vaisseau de transport, j’essaie de voir ce qu’il se passe par l’ancien hublot explosé. Le Quartier-maître se met à hurler :
– « Position de sauvegarde ! Le Jacky va taper un grand coup ! »
Mon corps s’exécute de lui-même, conditionné par l’entraînement. Je me retrouve automatiquement accroupi, les doigts dans les oreilles et la bouche ouverte. Cette position permet d’encaisser au mieux les chocs et les explosions. L’ouverture de la bouche quant à elle permet d’éviter l’effet de cloche et les lésions internes. Enfin, en théorie. L’angoisse monte. Putain, j’ai presque envie de rire quand je vois tous les gars dans cette position grotesque, mais la peur me broie les tripes.
Le silence est déchiré par un rugissement infernal. Les cieux se fendent, laissant place à une pluie de feu et de métal. L’avant-poste se transforme en véritable enfer. Les bâtiments explosent et brûlent, les arbres de la jungle, encore luxuriante il y a quelques heures, se tordent sous les flammes. La carcasse qui nous sert d’abri tremble, secouée par les déflagrations incessantes. Chaque explosion fait vibrer l’air, produisant un grondement sourd qui résonne jusque dans mes tripes. J’entends des cris étouffés, mêlés au bruit assourdissant des roquettes Orbite-Sol qui s’abattent sans répit. Je fixe la cloison de métal en face de moi qui menace de se briser à chaque impact. J’ai les couilles dans un mixeur. Mes mains tremblent. Je hurle à plein poumons, mais mon cri est inaudible dans ce chaos sonore. Le temps semble s’étirer à l’infini, chaque putain de seconde est un supplice, chaque souffle une lutte contre la panique qui menace de m’engloutir. Je ne sais même pas si je suis mort. Prisonnier dans un putain de purgatoire acoustique éclairé par des flammes démoniaques… Les explosions sont de moins en moins régulières.
Le grondement laisse place au sifflement strident de mes tympans à l’agonie. J’essaie de récupérer le contrôle de ma mâchoire complètement grippée et endolorie. L’air est saturé de poussière et de fumée. Je m’approche du hublot en titubant, encore courbé et courbaturé. Je ferme et j’ouvre les yeux plusieurs fois d’affilée pour essayer de retrouver une vue nette et enlever la cendre et la poussière qui se sont agglutinées sur mes globes oculaires. Mike Town n’existe plus. Un paysage de désolation s’offre à moi. L’horreur des frappes orbitales exposée au grand jour ; l’art de la désolation, le summum technologique de la destruction. Les quelques bâtiments encore debout sont en flammes. Les lueurs des incendies percent le brouillard de guerre. Quelques pans des fortifications sont encore en place. Le reste n’est plus qu’un cratère fumant. Je sens comme une pression sur mon épaule, mon corps commence à s’agiter de plus en plus fort. On me secoue. Je me retourne et je tombe face au visage noirci du Quartier-maître. Il me hurle quelque chose, mais le sifflement dans mes oreilles couvre sa voix. Il a les yeux exorbités, il est comme possédé. Son casque est de travers et une coulée de sang semble en sortir pour couler le long de son visage. Je n’avais jamais remarqué le bleu caractéristique de ses yeux, un bleu gris et froid…
– « Mais bordel sac à foutre ! Tu veux me galocher ou quoi ?! Tu vas te sortir les doigts ! C’est le moment putain, rassemble ton bardas et prends ton pétard… On va aller les finir ces manges-merdes ! »
Il se retourne et regarde le reste des gars :
– « Allez, action chiens de la casse ! On va leur montrer… Radio ! Oh ! » Il met une grande claque dans le casque de l’opérateur. « Réveille-toi manche à couille, transmets l’ordre sur la fréquence générale, on lance l’assaut ! »
Toute la troupe se met en marche tant bien que mal, laissant les blessés à l’abri dans l’épave. La lueur des soleils perce péniblement le nuage de cendre. On avance à travers les ruines, chaque pas résonnant sur les débris jonchant le sol. Les bâtiments éventrés se dressent comme des spectres silencieux, témoins muets de la dévastation qui s’est abattue. La fumée flotte encore dans l’air, rendant la respiration difficile et la visibilité réduite. Mes camarades progressent en silence, les visages tendus et fatigués, scrutant chaque recoin à la recherche de dangers potentiels. Après avoir franchi les restes de l’enceinte, on longe un premier bloc de bâtiments. Le Quartier-maître, qui est en tête, lève le bras pour nous donner l’ordre de nous arrêter. Chacun se place du mieux qu’il peut, l’arme en joue, pour couvrir la zone dans son entièreté. C’est une porte encore intacte qui a intrigué le chef d’escouade. Accroupi sur le côté, il essaie d’atteindre le terminal du verrou. Il siffle et me fait signe.
– « Le bleu, ramène ton cul ! Ouvre-moi cette putain de porte ! »
Le bâtiment est un ancien complexe d’habitation. À l’origine sur trois étages, il n’en reste plus que deux. La partie haute est complètement désintégrée, mais le premier étage a miraculeusement résisté. Je me dirige vers la porte en suivant le mur métallique, tête baissée. Il me montre le terminal d’accès, il se trouve juste à droite de la lourde porte hexagonale en acier renforcé, ornée de bandes jaunes et noires. Je balance mon fusil dans mon dos et je saisis par la même occasion mon datapad et mon multi-outil. Après quelques secondes, je désolidarise le boîtier de la cloison, ce qui me donne accès aux connectiques. Une fois branché, l’écran vert de mon datapad fait défiler une série de chiffres et de symboles. Je lance le programme de hacklock, quelques clics et le tour est joué.
Les vérins hydrauliques de la porte étanche se mettent à chanter accompagnés du bruit de la dépressurisation. Je m’écarte immédiatement. Je prends position derrière le patron qui, au même moment, donne l’ordre au gars de l’autre côté de la porte de la franchir.
L’homme hésite, lance des regards inquiets. Il se penche un peu pour entrevoir l’intérieur. Putain, mais vas-y merde, on est là comme des cons à découvert en plein milieu de sniper street !
Un marine de l’arrière commence à gueuler.
– « Oh Kovak, fais pas ta princesse putain de merde ! »
Sous les railleries des autres, il se décide enfin à se bouger le fion et pénètre dans le bâtiment, arme en joue. Une détonation suivie d’un hurlement inhumain brise le silence. Le Quartier-maître se précipite dans l’encadrure. Sans réellement savoir pourquoi, je bondis juste derrière lui, l’arme pointée vers l’obscurité de la coursive. On allume nos lampes. Le couloir est plongé dans l’obscurité. Seule la lueur d’un néon en fin de vie clignote et éclaire faiblement un des murs recouvert par le même tag vu un peu plus tôt : “NOTRE”…
– « Medic !! »
Kovak est au sol, il hurle comme un goret. Il tient ce qui reste de sa jambe gauche en aspergeant le sol et le mur de sang. Un putain de piège. Il lui a sectionné la guibole au niveau du genou. Quelle merde, fini le tango pour Kovak… Je lève la tête vers le fond du couloir. Je plisse les yeux pour qu’ils s’habituent plus vite à l’obscurité. Je perçois comme un mouvement furtif. Une silhouette humaine est dissimulée dans l’ombre. Elle me fixe, j’arrive pas à la distinguer entièrement. Je sens qu’elle me fixe… Elle tient quelque chose dans la main… C’est la putain de jambe de Kovak ! Et un murmure lugubre se fait entendre juste avant que j’ouvre le feu :
« … Notre… »