Roger et la Noirceur : Un Cri Contre l’Esclavage Etatique

Par , Le 24 juin 2024 (Temps de lecture estimé : 8 min)

Roger voit dans la noirceur du heavy metal et des films d’horreur une représentation de l’esclavage moderne imposé par l’État. Pour lui, ces genres sont des moyens de dénoncer la servitude publique et d’inspirer la lutte pour l’indépendance personnelle. Plongez dans cette vision libertarienne de la culture.

horreur

La joie envahit souvent Roger par des canaux qui peuvent susciter des froncements. Qu’il se divertisse avec des films d’horreur, passe encore. C’est moche, un film d’horreur, mais c’est seulement un rendu un peu plus bruyant des contes et légendes pleins de loups, d’ogres et de sorcières de notre enfance. Roger remercie régulièrement et avec beaucoup de tendresse feu sa grand-mère qui a suscité chez lui, dès l’âge de cinq ans, cet appétit pour les histoires juteuses et morbides. Sans ses pétrifiantes narrations du dimanche matin avant le kougelhopf tiède de Barbe Bleue et de Hansel & Gretel, Roger serait peut-être passé à côté de Texas Chainsaw Massacre et de Cannibal Holocaust (version uncut).

Les films d’horreur, ce ne sont que des histoires. Ce qui laisse un peu plus perplexe, c’est l’obsession de Roger pour le heavy metal. Tout ce noir, toutes ces têtes de mort, toute cette propulsion de la ruine, de la souffrance, de la guerre, c’est lourd, c’est lourd. C’est déprimant. C’est malsain, c’est un cauchemar volontaire, tous ces monstres, tous ces démons, ces images de torture et de ravages, cette ambiance dystopique véhiculée sans équivoque par la rage lugubre des sonorités du heavy metal. Ces quatuors à goudronneuses de charniers, est-ce bien raisonnable ? À son âge ? Pourquoi ne pas plutôt parler d’amour entre les gens et de paix parmi les gisements de miel ? Quid de la beauté de nos amis les animaux et de leur magnifique convivialité ? Les pique-niques estivaux, les riantes chutes d’eau et les pyramides majestueuses, ne sont-ce des sujets plus enthousiasmants ? Et la paix, pourquoi ne pas crier à la paix ?

Roger a l’habitude de ces remarques depuis plus de quatre décennies, et avec le temps il a trouvé une réponse plus intéressante que sa répartie traditionnelle. Cette dernière consiste en un haussement d’épaules suivi d’une conférence rébarbative sur les différents courants du heavy metal, pour montrer que non, il n’y a pas que des tanks et des cimetières sur les pochettes de disques. Il y a aussi des femmes nues (ou en slip) et des paysages somptueux (parfois avec un peu de brouillard et de neige dans la forêt). Les paroles ne racontent pas systématiquement des scènes de carnage ni de maladies, il y a aussi toutes ces chansons d’amour (avec une pointe d’érotisme) et toutes ces aventures de chevaliers vigoureux. Les épopées grandioses alternent avec les thorax poignardés et passés au napalm, les joies de la convivialité autour d’un apéritif (ou deux) sont célébrées avec autant d’entrain que les nuits pittoresques à la morgue. Il est injuste de réduire le heavy metal à la peste et aux radiations. Et puis, Roger l’assure d’un index en docte érection, toute cette noirceur n’est pas l’exclusivité du heavy metal. Elle habite aussi d’autres styles, n’est-ce pas, et s’ensuivent quelques exemples peu intéressants. Fin de la conférence.

Cette répartie semi-molle n’est qu’un éventail d’esquives frisant le hors-sujet. Aucune d’entre elles ne répond à la question débordant de compassion, le front bien écarquillé : pourquoi tout ce noir ?

Alors Roger saisit le point d’interrogation par les cornes et lui cloue les sabots. Cette noirceur, c’est regarder le fond de l’abysse par le fond de ses oreilles. C’est un film d’horreur sans l’image. Roger sait que l’oreille véhicule les émotions qui n’ont pas besoin d’interprétation. La musique appuie beaucoup directement sur tes glandes préférées, c’est son don par rapport à la littérature ou à la peinture, et le heavy metal est fier et heureux de le faire en noir.

«Sais-tu pourquoi, demande maintenant Roger avec un air de défi ? Parce que tout ça, c’est de ta faute. Sache-le.»

Ici l’interlocuteur est interloqué, et Roger en profite pour marquer une pause théâtrale.

«Quoi, comment, toutes ces têtes de mort dont je m’inquiète, c’est de ma faute, moi qui n’écoute que U2 et Aya Kakamura ? Moi qui privilégie l’harmonie des jolies choses ? Tu es drôle, s’insurge l’interlocuteur.»

Roger poursuit sa pause pour remplir son verre. Il s’irrigue le gosier afin de remettre de l’huile dans l’ordre des choses.

«Oui, c’est de ta faute, en tant que complice, répond-il, humecté. Cela n’a rien à voir avec les pets sonores que tu consommes, ni avec ta façon de te coiffer. C’est indépendant de toute ta personne, sauf de cet aspect étrange et malfaisant : tu votes. Vois-tu, insiste Roger, le heavy metal vient du rock’n’roll, qui est une évolution du blues, qui est né des chants d’esclaves et de la ségrégation raciale du XIXe siècle. Même si les sonorités se sont métamorphosées au point de se remplir de toute une densité métallique, la désolation et la noirceur constituent l’ADN commun de ce courant. Or l’esclavage et la ségrégation sont des produits de l’état, de la démocratie que tu chéris. Deux siècles plus tard, tu es encore complice de ce système esclavagiste, et en plus tu en es fier, tu en fais la promotion, tu encourages les autres à voter, tu…
— Mais non, pas du tout, le coupe le convive soit outré, soit hilare, un peu les deux en même temps selon la qualité de la poire. C’est un sophisme digne de  » Hitler était végétarien, donc les végétariens sont des nazis « , fâché / LOL. On a changé depuis le temps, poursuit-iel avec l’assurance de l’évidence, bien sûr que je suis opposé au racisme et à l’esclavagisme. La démocratie a mis fin à l’esclavage ! La démocratie, c’est le contraire ! N’importe quoi !»

Roger finit son verre et s’essuie la barbe.

« Essaie de me suivre. Tu votes. Oui, tu votes ?
L’interlocuteur opine le long d‘un petit agacement.
— Oui je vote, et alors ?
— Tu votes, ah, tu l’avoues. Par cet acte, triomphe Roger, tu soutiens l’organisation s’étant réservée unilatéralement le contrôle du territoire…
— Organisation, territoire? interroge l’interlocuteur. L’état, le pays. Ah d’accord.
— Par ton vote, continue Roger, tu te rends complice de l’état, qui vole les gens.
— Mais l’état ne vole pas les gens, riposte l’interlocuteur. Sans l’état, on n’aurait pas de routes ni de police ni de jeux olympiques. Les impôts ne sont pas du vol, arrête, oh làlà.
— Pourtant si, insiste Roger, c’est du vol pur et simple puisqu’il n’est pas possible de ne pas payer sans risquer gros, expropriation, prison… Ce n’est pas comment le budget de l’état est dépensé qui en fait du vol, c’est comme il est alimenté : par la force, comme son nom d’impôt l’indique. Ivre de pouvoir, l’état saigne le bétail que nous sommes pour lui, il propage le gaspillage, la ruine, et la destruction, car il n’a aucune limite, aucun garde-fou. Quand il est vraiment en forme, il rajoute la famine et la guerre. Piller tant qu’on est aux commandes, son seul incitatif. Piller en toute légalité, avec l’appui et l’enthousiasme de son fan-club votant. Cette ferveur religieuse réduit ses inhibitions. Le pillage devient sa raison d’être. Il assèche et suce le sang à gorgées toujours plus grosses. Il nous transforme en hamsters frénétiquement angoissés dans cette fuite en avant exponentielle que son arbitraire nous impose toujours plus, s’additionnant au épaisseurs antérieures telle la tumeur. Il nous ronge l’avenir et raccourcit notre perspective, il dissout notre vie dans ses sucs digestifs, il nous réduit en esclavage. L’esclavage a été aboli ? Non, il a simplement été monopolisé. L’état ne supportant pas la concurrence, il a interdit l’esclavage privé pour instituer l’esclavage public à son profit privé. L’état, c’est la grande fiction où chacun est la vache béate de toutes les autres. On se suce les pis dans un grand bovin centipède non binaire. L’auto-esclavage, ce sommet de l’art politique. Et tu es son complice actif et son soldat votant sans cesser d’être sa victime insouciante. Tu propages la peste noire de l’état. Tu encourages les autres à voter. Tu n’as pas honte ? Cas contact ! Contagion volontaire ! Les têtes de mort, c’est lui, c’est toi. Les ravages toxiques, c’est lui, c’est toi. Les ventres creux et les membres amputés, les analphabètes au jugement de tabouret, les mangeurs de lessive et les femmes à barbe aux cheveux mauves, c’est lui, c’est toi. Le carnage, c’est lui, c’est toi. La fin de la civilisation, c‘est lui, c’est toi. Tu ne vois pas que toute cette horreur est la source d’inspiration du heavy metal ? On vomit l’apocalypse après l’avoir aperçue. On l’amplifie après en avoir saisi la mélodie. Qui a jeté une bombe atomique sur des innocents ? La république des États-Unis ou Nuclear Assault ? Alors ne viens pas te plaindre que cette musique est lugubre et hostile, c’est toi qui a commencé. En attendant que tu cesses d’engraisser la légitimité usurpée de ton dieu satanique au dentier ensanglanté par les cinq cents générations sacrifiées sur son autel, les incantations de la rage, de la haine et de la voracité te serviront de miroir sonotone.»

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Laurent SEITER

Gros amateur de graisses comestibles ainsi que sonores, cet ultralibéral apatride vendu au grand capital n'en est pas moins sensible à la finesse et à la rigueur de la doctrine austro-libertarienne.