Dans l’attente angoissante du largage, un novice parmi les ScavMarines confronte ses doutes et ses peurs alors que l’équipage se prépare à plonger dans les profondeurs chaotiques d’une planète nouvellement colonisée. Entre camaraderie et chaos imminent, une introspection poignante émerge au cœur de l’action.
L’éclairage rouge de combat inonde le module du dropship. Les tremblements et les bips s’intensifient. Par le hublot bâbord, je ne vois que des flammes qui présagent l’enfer dans lequel on nous plonge.
-« 5 minutes, les filles ! » La voix rauque du Quartier-Maître chef me sort de la torpeur.
Qu’est-ce que je fous là, putain ?
Engoncé dans mon siège de saut, étouffé par le harnais de sécurité, étourdi par les chocs de mon casque sur les cloisons, secoué comme un putain de prunier.
Je regarde autour de moi et je vois mes nouveaux camarades. Certains sont hilares, les yeux fous. D’autres sont concentrés, comme en transe, implorant sûrement l’Archange Saint Michel de leur donner une nouvelle victoire. Le reste est comme moi : fraîchement embauchés, les yeux écarquillés, transpirants, cherchant un soutien quelconque dans les yeux de leurs nouveaux collègues. Mais en vain.
Les portes latérales s’ouvrent enfin, un air tiède et humide s’engouffre dans l’habitacle. L’atmosphère devient lourde, comme dans une serre hydroponique de ma colonie natale. L’odeur de végétaux en putréfaction se mêle à celle de rouille, de graisse et de kérosène du vaisseau.
L’artilleur, sécurisé par un harnais, s’approche dangereusement de la porte tribord et se penche pour observer. Il se retourne en affichant un visage carnassier. Il allume un vieux poste holodisk et les haut-parleurs commencent à cracher un vieux rock psychédélique d’un autre âge, d’une autre guerre. Il actionne quelques boutons, puis un levier et une mitrailleuse de taille respectable se déplie et se place automatiquement devant la porte latérale. « Palomita » c’est son petit nom, il est écrit maladroitement au marqueur blanc sur le côté. L’artilleur l’approvisionne et l’arme, dans une sorte de préliminaires érotico-malsains. Tchekova Kroupnokaliberny MKIII de sa véritable appellation. Tout droit sortie des colonies usines de Novyrostov avec pour seul but de faucher les âmes et distribuer la liberté une cartouche à la fois.
-« Feu, feu, feu, Tribord 85, 850 yards défilant droit ! » Hurle le système de diffusion.
Palomita se met soudainement à chanter, sous les cris presque animaux de son public de fans. La lueur et le fracas rauque des staccatos accompagnant la danse des douilles éjectées, ajoutent au spectacle surréaliste qui se déroule sous mes yeux. Palomita donne tout ce qu’elle a pour enchanter son public déchaîné !
-« 2 minutes ! »
Le Quartier-Maître me regarde d’un air rieur. Son casque recouvert d’un tissu camouflage vert, qui est orné de dessins et d’inscriptions sans queue ni tête comme « Mes couilles sur ton front on fera le dindon », et j’en passe. Sa tenue camouflage dépareillée, et son plastron métallique usé et tagué, témoignent qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Pas comme moi…
Les ScavMarines sont une société privée de protection, ils acceptent tous les contrats que les autres compagnies privées ne prennent pas. Tout ce qui est aux frontières de l’univers colonisé connu. Les mondes extérieurs encore sauvages, c’est leur spécialité.
Le vaisseau de débarquement continue son cercle meurtrier autour de la Dropping Zone, arrosant tout ce qui bouge, ou pas, d’une pluie de 20mm incendiaire à une cadence infernale. Les flammes et les explosions contrastent avec le vert luxuriant de la jungle de cette planète fraîchement colonisée du système Citea Lactalis.
-« 1 minute ! »
Une minute, putain. J’ai les couilles au fond de la gorge, je fixe la lampe rouge qui se trouve à ma droite au-dessus de la rampe de débarquement. Mon pouls s’accélère, je souffle comme un buffle, mes mains tremblent. On y est, putain… Le chaos ambiant de la musique, de Palomita qui hurle son chant funeste, des cris de mes collègues, s’étouffe. Je sens mon cœur battre à faire valser mon plastron de protection. Tout devient flou. Tout ce qui m’a amené ici défile sous mes yeux. Pourquoi j’suis allé faire le malin chez moi ? Pourquoi j’ai voulu obliger les gens de ma colonie à prendre les armes ? Pour des idées à la con, c’était quoi déjà ? Ah oui, le marxisme ! Putain, quel con ! Et quel con de ne pas avoir eu assez d’argent pour payer la réparation de mes actes. Je me retrouve là, à fixer cette satanée lampe rouge qui me rappelle d’un air moqueur ma dette. Cinq ans chez les ScavMarines pour réparer mon tort… La lampe devient verte, mon harnais saute et tout bascule.
-« GO GO GO ! SACS À FOUTRE, C’EST L’HEURE DU TURBIN ! »
Qu’est-ce que je fous là, putain…