La république, c’est toi !

Par , Le 5 juillet 2024 (Temps de lecture estimé : 10 min)

Roger, citoyen désabusé, critique avec mordant la démocratie moderne, qu’il qualifie de « majoritarchie ». À travers des analogies saisissantes, il dévoile les absurdités du système électoral et ses effets dévastateurs sur l’individu. Entre humour noir et désillusion, ce texte invite à réfléchir sur l’état de notre société et la véritable nature de la république.

la république c'est toi

La république, c’est toi. Littéralement, c’est toi : l’étymologie est formelle, tu es une chose publique. Roger est désolé de le dire, mais Jean-Luc Mélenchon, le célèbre Mao de salon, a raison, il l’a hurlé avec exactitude aux caméras en 2018 : la république, c’est lui. C’est lui, c’est toi, c’est ta mère et c’est Roger. C’est Jean-Jacques Rousseau qui l’a dit, 1789 qui l’a entériné, et finalement Frédéric Bastiat qui l’a formalisé : l’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde vit aux dépens de tout le monde.

L’État, sous sa forme démocratique, qui ne diffère en rien d’une monarchie de masse, est une majoritarchie. La démocratie est la loi de la majorité, c’est-à-dire la loi du plus fort en bande organisée. Plutôt que de s’entretuer directement à coup de pelles et de fourches, on se recense d’abord, pour voir qui a la plus grosse équipe. Il est sous-entendu dans ce processus que la taille, ça compte, et que la plus grosse équipe va gagner si on en vient aux mains et aux lames. Alors toutes les équipes s’entendent d’avance pour déclarer forfait et reconnaître comme vainqueuse, jusqu’à la prochaine partie dans quatre ou cinq ans, l’équipe qui a le plus gros effectif lors du concours de racontars. Cela permet d’éviter de saigner, c’est pratique pour les gens qui n’aiment pas pleurer la perte d’un membre de leur famille ou de leur propre corps.

Alors comment ça marche ? Les combattants de la majoritocratie, honteux, s’enferment individuellement chacun dans une guérite, ils tirent le rideau, et portent leur coup aux équipes adverses en glissant un nom dans une enveloppe. Cette enveloppe pénètre ensuite la fente de l’urne pour bien inséminer la démocratie. Chaque suffrage ressemble à un spermatozoïde qui part à l’assaut de l’ovule du pouvoir, que nous nommerons Ovpouv. Mais c’est une analogie imparfaite, car contrairement à un ovule normalement fécondé par le spermatozoïde le plus rapide et le plus ingénieux, Ovpouv est fécondé par le spermatozoïde le plus gras et le plus protubérant. On l’a dit, la taille ça compte. C’est même prépondérant, comme qui dirait. C’est pourquoi chaque vote s’agrège à ses congénères de même couleur en un blob obèse qui enfle avec l’humeur de chaque éjaculateur de vote, que les spécialistes désignent sous le terme « démocratozoïde ». L’union fait la force, l’agrégat c’est la vie.

À la fermeture de l’étable à votes vers 18h30 ou à peu près, les démocratozoïdes agglomérés aux couleurs de chaque équipe rampent alors vers Ovpouv sur leurs petites nageoires de stylommatophores, et s’y insèrent par percolation gravitationnelle comme des suppositoires ramollis et bien gluants. Le plus gros fond en dernier, obéissant au second principe de la trucsquifondentdynamique, et il reste là, comme un gros tas hagard, au milieu d’Ovpouv. Par effet de serre effervescent intra-muqueux, Ovpouv osmosifie alors la couleur et la forme de ce mégazotoïde démocratique restant, et le tour est joué. Les proclamations sont faites, Ovpouv se métastase dans le grand corps social, et la maladie reprend son cours avec les nouveaux symptômes apportés par le démocratozoïde victorieux, jusqu’à la prochaine inoculation. Les experts notent que même si le démocratozoïde est de même couleur que celui qu’il remplace, par exemple quand Justanuel Trucron se fait réélire, les symptômes s’amplifient au lieu de ne pas changer, aucune élection n’est inoffensive. Le sens de la glissade est toujours vers le bas : que ce soit en profondeur ou en largeur, la maladie ne peut que progresser, jamais régresser. C’est la loi de la démocratologie.

Grâce aux explications de la démocratologie, Roger confirme au lecteur et à la lectrice qu’effectivement, les entrailles de la démocratie font de lui et d’eux une chose publique. Nous sommes les œufs de cette omelette dont chacun se repaît.

Peu importe la nouvelle teinte de sa couleur brun-vert-rouge, la texture gélatineuse aux sucs âcres d’Ovpouv ne cesse de digérer Roger avec toujours plus de bave. Je suis un aliment pour Ovpouv, une ressource, un lot de protéines, songe-t-il, dodelinant dans l’ivresse du grand tout-à-l’égout. Je suis la chose d’Ovpouv, et aux yeux des disciples d’Ovpouv, ces singes en slip qui ont éjaculé leur vote dans leurs démocratozoïdes respectifs et irrespectueux de la civilisation, c’est une bonne chose. C’est le « bien commun », ils disent. Chacun devient la chose de tous les autres. La preuve : ils ont voté pour. Chaque élection est une piqûre de rappel. C’est Ovpouv qui décide pour Roger. C’est ça qu’ils disent, les singes.

Et Roger comprend la symétrie. Jean-Luc Mélenchon, le Lénine des petits fours : la république, c’est lui, c’est Jean-Luc, la république. En face, Roger, la république c’est lui aussi, mais il y a une astuce. Quand Jean-Luc le dit, cela signifie : je suis Ovpouv. Il a une position dans Ovpouv, à l’instar de Justanuel Trucron, qui lui aussi est la république, car lui aussi est Ovpouv. Tous ceux qui ont une position sont Ovpouv, tous ceux du bon côté des flingues sont Ovpouv. Le bon côté des flingues, c’est celui du manche. Du bon côté des taxes et des flingues, on trouve la république digérante, c’est la chose qui mange, c’est la chose qui mange tout au nom de tous les autres. La chose qui mange a une nouvelle dent qui pousse lors de la fécondation d’Ovpouv par le démocratozoïde, c’est ce que nous apprend la démocratologie dans plusieurs études du Ministère du Joli, et la chose qui mange n’a qu’un objectif : manger. C’est la loi de la démocratologie. La chose qui mange, mange. Chaque élection permet de prolonger la vie de la chose qui mange, l’élection lui permet de renouveler ses dents et aussi ses globules blancs pour mieux manger dans le sens des fringales du nouveau démocratozoïde. Des boulimies revigorées, des appétits glorieux l’animent dans l’euphorie de l’ébriété électorale.

Roger, lui, habite de l’autre côté des flingues et des taxes. Il ne peut rien faire, pas même habiter dans sa propre maison, sans être contraint à transférer de larges portions de ses avoirs à la chose qui mange. S’il ne le fait pas, Ovpouv pousse un cri, et la chose qui mange décharge soit une salve de bile soit un pet mouillé dans la direction générale de Roger, en guise d’avertissement. Je te préviens, je t’aurai prévenu, dit la chose qui mange. Tu payes, ou je me sers. Roger doit bien réfléchir. Si Roger n’obtempère pas après cet ultimatum pourtant fair-play, une escouade de rats enragés avec des casques et des fusils casse sa porte, l’encage et lui confisque sa maison. La chose qui mange, elle mange. Elle n’a que cela à faire. Elle l’avait bien prévenu qu’elle l’avait prévenu. Elle ne cessera jamais de manger, quelles que soient la couleur et l’odeur du dernier démocratozoïde. C’est la loi de la démocratologie. C’est comme ça. On ne transforme pas un tube digestif en cortex, ni même en biceps. La chose qui mange mange. La chose mangée, c’est Roger. Il est la chose mangée par la chose qui mange. Le renouvellement de démocratozoïde donne simplement une nouvelle vigueur gastrique, une nouvelle orientation dentaire à l’appétit de la chose qui mange. La chose qui mange aime manger, elle n’aime que ça, elle déteste le régime, sinon elle ne serait pas la chose qui mange. Parfois Roger est au menu trois cent mille fois par jour, parfois une seule centaine de milliers de fois mais plus longtemps, selon la couleur et l’odeur du démocratozoïde. La chose qui mange mange toujours davantage car elle doit soutenir son métabolisme de chose qui mange, et elle doit en rajouter une épaisseur croissante pour surmonter l’accoutumance au manger. Les camarades quadrumanes de Roger sont heureux car ils se prélassent dans le mirage tiède et humide qu’ils sont la chose qui mange, et non la chose mangée. La preuve, ils ont voté pour. Ovpouv, c’est nous. Si t’es pas content, disent-ils à Roger, t’avais qu’à voter. Ils n’ont pas tort, admet Roger : en tant qu’électeurs, même perdants, ils sont complices de la chose qui mange, de bons gros collabos d’Ovpouv. Certes, ils sont mangés, mais ils l’ont voulu. Ils ne peuvent donc pas se plaindre. C’est ce que les primates électoralistes ont du mal à aligner dans leur neurone : c’est à eux de fermer leurs trous à bave quand l’état de la société leur déplaît. Seul Roger, qui n’alimente jamais aucun démocratozoïde anthropophage, est légitime à renâcler à se faire digérer en public. Roger est la chose mangée, il se sent comme un morceau de steak sur un étal, que l’on découpe petit à petit, pour l’enfourner dans la chose qui mange sans même le cuire, mais avec une jolie sauce arc-en-ciel, quand elle n’est pas jaune-bleu. Chose chose chose, chose publique dévorée par la gigantesque bouche collective des quadrumanes isoloirophiles, voilà la destinée de Roger, chose, chose publique, chose pour tous, chose à malaxer, chose à pétrir, chose à débiter, chose à hacher, chose à touiller, chose à essorer, chose à aplatir pour la faire rentrer dans le mille-feuille croustillant du onze-millième repas quotidien de la chose qui mange.

Le singe à suffrage en a décidé ainsi. Grâce à son nombre pullulant, le singe-rat radoteur adorateur d’Ovpouv, cet ovule avarié de la volonté veule de voracité faite vice et viol qui usurpe le pouvoir, se répand telle la nuée apocalyptique sur Roger, pour le noyer dans ses fleuves de fèces rougeâtres et brunâtres. Ô singe de la peste, sais-tu ? Ô rongeur avec des pouces, vois-tu ? La république, c’est ton excrétion. La république, c’est ton pourrissement glaireux. La république, c’est la maladie suintant du reptile aux yeux ronds qui te monopolise. La république, c’est toi. Ça, c’est vraiment toi. Ça se sent que c’est toi, oh ça se sent. Ça pue le slip de clodo défoncé, ça donne le vertige. Tu es la vraie chose publique de la chose qui mange, et tu jouis. Les vers d’Ovpouv te digèrent, et tu jouis d’une giclure dégénérée de jus de poubelle. Ça picote et tu jouis, et tu obliges Roger à jouir, mais il ne jouit pas, et tu le hais, et tu le menaces. Il doit jouir, tu es péremptoire. Tu es une giclure de poubelle. Laisse Roger sortir de la décharge publique. Jouis maintenant, bois ton jus de poubelle, fais-toi bouffer si tu veux, mais laisse Roger tranquille, il ne t’a rien demandé. La république, c’est toi et seulement toi. C’est pourtant facile.

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Laurent SEITER

Gros amateur de graisses comestibles ainsi que sonores, cet ultralibéral apatride vendu au grand capital n'en est pas moins sensible à la finesse et à la rigueur de la doctrine austro-libertarienne.