Cet imbécile de Pythagore

Par , Le 4 février 2025 (Temps de lecture estimé : 7 min)

Quand Walterino le communiste et Myxomameline la minarchiste s’écharpent autour d’un verre, insultes et envolées politiques fusent sans retenue. Roger, lui, observe en silence… jusqu’au moment où un inattendu terrain d’entente surgit, prêt à bouleverser cette querelle familiale.
pythagore

Roger est heureux quand l’harmonie règne au cours des réunions familiales, et il est d’autant plus fier quand il est la cause de cette bonne humeur. Aujourd’hui, il boit un coup avec Walterino, son cousin communiste, et Myxomameline, sa cousine minarchiste. La rencontre a démarré sur un ton très tiède. Pendant plusieurs minutes, on s’est essentiellement échangé des ironies. Roger n’a rien dit pendant que Walterino et Myxomameline se traitaient réciproquement de Marie Curie de cathédrale et d’idiot utile des intérêts financiers apatrides. Ensuite ils se sont confrontés sur le meilleur candidat pour sortir le pays de la crise, et Roger n’a toujours rien dit. Quand Myxomameline a soulevé les problèmes d’insécurité, Walterino l’a qualifiée d’Ilsa, louve des sécuritaires, et Roger est resté coi. Quand Walterino a lamenté le sort des réfugiés pour qui l’on ne met pas assez d’hôtels à disposition, Myxomameline a persiflé « Mondialiste anti-occidental » et Roger n’a pas cru bon d’intervenir. Mais quand Walterino a rétorqué « Il faut taxer les riches », Myxomameline a opiné. Là, Roger s’est retrouvé gros Hubert comme derrière, car il ne s’y attendait pas. Myxomameline, fine observatrice du langage corporel, devinant l’émoi de Roger, sentant qu’il allait enfin intervenir, se précipite pour préciser que « Il faut taxer les riches autant que les pauvres, c’est la flat tax ».

Il est là, il est là le sweet spot comme on dit à Newcastle entre deux concerts de Venom. Cette fois, avant que Walterino n’embraye sur l’égoïsme et la méchanceté universels, Roger tonitrue : « Vous voici enfin d’accord, c’est le terrain d’entente, vous êtes en harmonie sur le principe d’esclavage ! » et il lève son verre en continuant : « Je savais bien que vous n’étiez pas irréconciliables, Ô gauche ambidextre et droite quadrumane, Ô soupiraux de la servitude, Ô thuriféraires du règne animal ! », « Oui je suis végétarien, et alors ? » interrompt Walterino, sous l’indifférence soupirée de Roger qui conclut son verre et sa clameur :

« Vous êtes frère et sœur du principe de Lucifer ! » et aussi « Hahahahaha ! » et il monte le son de Bathory.
– Nan mais allô, quoi ! » se rebiffe Myxomameline, « Nous sommes opposés, c’est un marxiste !
– Nan mais allô, quoi ! » confirme Walterino, « C’est une fasciste !
– Ça n’a rien à voir !! » postillonnent-ils en duo uni contre l’absurdité.
– Cela dépend de la distance à laquelle tu observes » fait remarquer Roger, mystérieux.
– …
– La lèpre et la peste sont très différentes, ou bien ? questionne Roger.
– Très.
– Sont-ce néanmoins toutes deux des maladies ?
– Ce le sont.
– L’incendie et l’inondation sont très différents, ou bien ?
– Très.
– Sont-ce néanmoins tous deux des catastrophes ?
– Ce le sont.
– Le cambriolage et le viol…
– Je crois qu’on a compris le concept. Quel rapport avec quoi que ce soit ?
– Avec des objectifs symétriques aiguisés par des appétits différents, vous êtes tous deux animés par le principe de spoliation, de taxation, d’esclavage public. Vous l’êtes ?
– Ben oui, bien obligés !
– C’est un mal nécessaire !
– C’est la justice sociale !
– On ne peut pas faire autrement !

Roger repose la bouteille dans une gestuelle de concordance comme Bill Clinton. Il est heureux de les voir enfin ensemble, unis par le cœur contre l’absurdité. Il les bénit « Jouissez dans cette communion du solstice de l’amour noir jusqu’aux confins de l’aube rouge » et il ferme les yeux. Il devient prolixe quand il a bu quelque chose de bon, mais cela le fatigue. Cependant, Myxomameline et Walterino, momentanément interloqués par cette révélation, rompent la quiétude qui règne sous les paupières de Roger. Ils retrouvent leur véhémence :

– C’est pas parce que, euh, c’est pas pour ça qu’on est d’accord !
– Sinon y’aurait pas des partis différents !
– Ça veut rien dire !
– C’est pas pareil !
– Et puis d’abord, les impôts c’est pas du vol ! La preuve, le contrat social !
– Ouais ! Le contrat social !

Roger rouvre les yeux pour darder ses cousins de singes de tous ses cils  : « Ah vous voyez, vous êtes encore d’accord, sauf sur certains détails. D’abord, vous croyez au mythe du contrat social. Ensuite, que cela vous plaise ou non, l’impôt est du vol. Le vol se caractérise par la prise de possession d’un bien sans le consentement de son propriétaire légitime. L’impôt, par définition, est la prise de possession du pognon des gens sans leur consentement, sinon on l’appellerait autrement. L’impôt correspond exactement à la définition du vol. C’est donc un théorème, et comme le théorème de Pythagore, il est partout et tout le temps vrai. CQFD. Zer. »

– Que vient faire ici cet imbécile de Pythagore ? Il est vieux de plusieurs siècles ! C’était différent à l’époque !
– L’être humain n’est pas un triangle ! La vie n’est pas une équation !
– Ça veut rien dire !
– C’est pas pareil !
– Quelles sont tes sources ?
– Ouais, quelles études peux-tu citer pour corroborer tes affirmations ?

Les postillons des deux singes laissent Roger parfaitement stoïque, car ce whisky est très onctueux. Plus lentement, il recommence « Le fait que vous soyez incapables de raisonner n’est pas un argument. », il prend un schlouk, « Si l’analogie avec Pythagore est trop difficile à comprendre, essayez de considérer un autre principe universel, par exemple je ne peux pas être mort et vivant en même temps. C’est évident puisque les termes se définissent mutuellement. D’accord ? D’accord. », un autre schlouk, « C’est ce qui vous unit dans cet état lamentable : la contradiction. Vous stipulez que l’esclavage, pardon, l’impôt, est justifiable au nom de l’intérêt général, ou de la justice sociale, ou de la température, vous prétendez que le mal est nécessaire pour faire le bien. Chacun à votre manière, en vous chamaillant sur les détails, vous savez que l’avenir radieux sera bâti sur les coups de fouets d’aujourd’hui, sans y voir l’inoculation constante d’un poison, au lieu d’un vaccin. C’est le sucre qui nourrit la tumeur vorace, ce n’est pas la vitamine qui stimule le système immunitaire. Molière a écrit une pièce sur votre style de médecine. Toi, Myxomameline et ton socialisme de la police, toi, Walterino et ton socialisme tout court, vous partagez cette absence de principe, cet empirisme de socialopithèque à l’horizon du règne animal. Vous proposez quelque chose à mon intelligence tout en me précisant que vous en ferez fi. Vous me proposez de me libérer en me tenant en joue. Vous me proposez de vous donner la moitié de mon Époisses, car cela la rendrait plus grosse. Et c’est Pythagore l’imbécile ? Vous avez faim ? Vous avez mal ? Vous avez peur ? Vous êtes fatigués ? Vous êtes si pâles, vous êtes livides, quand je vous regarde je comprends mon erreur, c’est vous qui avez raison, on peut être mort et vivant en même temps. Il suffit de vous écouter et de vouloir faire semblant de vivre.»

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Laurent SEITER

Gros amateur de graisses comestibles ainsi que sonores, cet ultralibéral apatride vendu au grand capital n'en est pas moins sensible à la finesse et à la rigueur de la doctrine austro-libertarienne.