Imaginez une Savoie indépendante gérant ses autoroutes. Entre rentabilité et innovation, découvrez les défis et opportunités d’un réseau routier sans État.
Parmi les mythes qui entourent les oppositions à la future Libéralie, la société libre, intégralement de propriété privée, il y a le fameux « mais qui construira les routes !? » Selon ce mythe, dans une société libre, personne n’aurait d’incitation à investir dans un réseau routier, et donc aucune route ne serait jamais construite, ce qui condamnerait irrémédiablement Libéralie à la misère et à une rapide disparition. Ce qui prouverait que seule une société étatique serait viable et souhaitable.
Des volumes entiers ont été écrits sur la question, on sait donc que cette critique repose sur du sable – ce qui n’est pas idéal pour une route. Néanmoins, j’ai pour ma part écrit un texte, il y a déjà plusieurs années, ici (*), où j’explique que je crois sérieusement que les autoroutes, du moins telles que nous les connaissons, seraient très improbables voire impossibles dans un monde libre. Alors, que faut-il croire ? Routes, ou pas routes ?
Pour répondre en détail, en déroulant le scénario d’une société libre qui aurait – ou pas – le besoin d’autoroutes, il y a deux points de départ possibles. On peut partir du monde actuel, se projeter quelques années dans le futur, en supposant que soudain, suite à une série de sécessions, toute une région se serait réorganisée en une mosaïque de pays libres, héritant des anciennes infrastructures et autoroutes : Que se passerait-il alors ? L’autre point de départ consiste à anticiper sur la conquête de Mars ou de toute autre planète et imaginer ce qui se passerait peut-être dans un monde où tout est à construire… dont les routes ! Cet article se focalise sur le premier scénario, je développerai le scénario martien dans un prochain texte – le temps pour les colons de traverser l’espace…
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Projetons-nous donc dans quelques années. Vu son histoire et son actualité, il est bien possible que dans cet avenir proche, les Savoyards (Savoie : départements 73 et 74) aient décidé de remettre en cause le Traité qui en 1860 rattacha ce territoire à la France et aient ainsi repris leur indépendance. On peut supposer que la Savoie soit ainsi devenue une Assemblée des Communes constituant son territoire, où chaque Commune souveraine aura négocié un traité l’engageant (engageant ses habitants) au sein de l’Assemblée, et inversement. Un autre Liechtenstein au sein des Hautes Alpes.
À ce jour, tout un réseau d’autoroutes (telles A40/41/43) traverse les deux départements. Lors de leur sécession, la négociation avec la France (ou avec les nouveaux pays émergeant) aura sans doute placé un contrôle aux frontières sur ces tracés et laissé à la Savoie la charge de l’entretien de ces lourdes infrastructures. Si le business de la montagne continue d’attirer les touristes des plaines, ils auront tout intérêt à entretenir ces voies, mais à un niveau d’investissement cohérent avec les bénéfices espérés. Sinon, le récent incident sur l’A13 qui a conduit à sa fermeture sine die pourrait bien donner une idée de l’avenir d’un tel « capital » : une photo a circulé où une renarde et ses petits commençaient à reconquérir l’asphalte délaissé.
Comment s’organiser pour reprendre l’exploitation de ce réseau d’autoroutes ? Plusieurs modèles sont possibles, j’en retiendrai un qui me semble probable. Un entrepreneur savoyard (ou une association d’entrepreneurs, peu importe) a senti l’occasion de valoriser cet énorme capital dormant. Dès que les négociations de la Sécession ont débuté, et celles entre les Communes qui aboutirent à la constitution de leur Assemblée, il a commencé à faire le tour des leaders du mouvement pour leur proposer de racheter et les libérer de ces infrastructures. Il leur a proposé de les prendre en charge, pour aider le Territoire à développer son activité économique grâce à des autoroutes financées par le trafic et non plus par la fiscalité. Un acte de primo-acquisition fut établi entre chaque Commune traversée et l’entreprise pour instituer sa pleine propriété du ruban autoroutier, avec les modalités traitant des questions de voisinage avec les multiples riverains.
Voilà désormais notre entreprise (au singulier ou au pluriel) à la tête de l’A40 savoyarde et des autres tracés sillonnant dans les vallées. Pour rentabiliser l’entretien, nécessaire, du réseau, il faut qu’il y ait assez de trafic payant, ou assez de contributions volontaires contre projets concrets d’amélioration. L’A-Savoyarde, l’entreprise autoroutière, aura donc tout intérêt à contribuer au développement économique et touristique de la Savoie. Plus d’activité économique, c’est plus de trafic, commercial comme touristique. Mais aussi, pour rassurer les zécolos, elle aura intérêt à revendre, à revaloriser ou à faire disparaître les tronçons trop coûteux et non rentables, devenus trop chers pour le trafic.
Je vois déjà se réjouir l’économiste de maternelle : « Je le savais ! Le privé ne peut pas assurer un service public ! Il parle de détruire ce qui n’est pas rentable, c’est le dogme de la rentabilité ! » Ce serait un peu trop facile. Seule l’imagination nous limite, mais il y a de nombreuses manières de revaloriser un ruban autoroutier. Pourquoi ne pas y bâtir des immeubles « sociaux », par exemple, pour profiter des fondations solides. Ou un centre commercial tout en longueur, parking en face ?
En Savoie, une part importante du trafic traverse pour prendre le Tunnel du Fréjus vers l’Italie. Faire fortement monter le prix du péage pour toute traversée est un moyen évident de rentabiliser le réseau tout en réduisant le trafic traversier : lorsque ce sera trop cher, moins de camions passeront. De plus, pour pratiquer des prix chers, l’A-Savoyarde sera poussée à renforcer la sécurité du tunnel. On l’aura compris, la clé dans cette situation, c’est de multiplier les affaires générant du trafic payant.
Je ne compte pas, dans un court article, imaginer tous les business envisageables, mais simplement indiquer que c’est affaire d’imagination de la part des entrepreneurs autoroutiers. Ce qui me paraît important, toutefois, c’est de voir qu’il semble peu probable que des tronçons nouveaux d’autoroute voient le jour dans une Savoie libre : mon ancien article l’explique, la propriété privée y fait obstacle.
Par contre, dans un monde martien ou Ultima-du-Centaurien, où tout se construit, où les enjeux sont à créer des flux, nous verrons que les choses pourraient bien s’organiser tout autrement… À suivre.