De la nécessité de se « projeter » : l’exemple de la justice concurrentielle

Par , Le 16 juin 2024 (Temps de lecture estimé : 6 min)

En adoptant les principes libertariens, une nouvelle justice en Libéralie a été imaginée. Cet article présente l’approche de la « contre-jurisprudence libertarienne » et les défis rencontrés en chemin.

jurisprudence lib

Cela fait quelques mois que j’ai embrassé la pensée libertarienne, et presque autant de temps que l’idée de m’improviser juriste en Libéralie (version de l’anarcapie développée dans Liberté Manifeste de Stéphane Geyres) m’est venue. Après avoir partagé cette idée et sa concrétisation dans différents cercles libertariens sérieux (excluant d’office tout ce qui mélange déjà le libertarianisme avec du « nouveau »), on m’a honoré d’une proposition d’article à ce sujet sur Repossession. Une aubaine pour moi, et un défi, car disons-le tout de suite : essayer de rédiger autre chose que de la fiction représente toute une aventure pour moi !

Tout d’abord, le libertarianisme se développe lentement, mais sûrement. Deux tendances se dégagent selon moi : un accaparement indu par des arrivistes (souvent en extase devant le Dieu Crypto) et une « accélération de la projection » grâce à de solides fondations. Il est difficile de se jauger soi-même (et de se juger, d’ailleurs), mais je me plais à me rattacher au second mouvement. La projection est une nécessité pour tous ceux qui veulent imaginer un monde libre débarrassé des chaînes de l’État (qui écrase la Liberté), mais elle ne peut précéder l’établissement de principes rigoureux (ceux du Droit Naturel). C’est, par exemple, ce que Stéphane Geyres s’est évertué à faire depuis plusieurs années avec ses sites (Mises France, Lettres de Libéralie) et ses maisons d’édition (John Galt, Résurgence).

Il s’agissait d’abord de diffuser les principes, avant de les penser, puis de les exploiter. C’est ainsi que je vois la transition entre l’établissement des principes et la « Projection ». Pour ma part, il a d’abord fallu que j’assimile les principes du Droit Naturel avant de me lancer dans le grand bain par l’intermédiaire d’une « contre-jurisprudence libertarienne ». Je pourrais m’attarder sur le choix de l’intitulé, avec la définition (si chère à monsieur Adam) des termes (contre, jurisprudence, libertarienne), loin d’être anodins, mais ce serait une répétition de mon avant-propos et l’on m’a mandaté ici pour donner le plus d’exclusivité possible. Pour expliquer mon projet sans dévier, je vous propose de diviser la suite en trois parties : l’intention derrière le projet (I.), la méthode adoptée (II.) et les premiers résultats (III.).

L’intention derrière le projet

Après avoir découvert le Droit Naturel et l’École autrichienne d’économie, un nouveau monde s’est ouvert à moi. Il m’a donné un second souffle après trois années d’études mitigées, où le marasme de pseudo-concepts positivistes me faisait presque perdre goût au « Droit« . Entre décembre et avril, j’ai dévoré avec avidité les textes libertariens pour me familiariser aux principes. Cependant, mon cerveau était trop imbibé de notions pseudo-juridiques, et le flux d’informations penchait obligatoirement en faveur de celles-ci. Mettre en scène des litiges résolus par le Droit Naturel m’a semblé être, dans un premier temps, le meilleur moyen de résorber cet écart naturel au forceps.

Dans un second temps, ce sont aussi les vidéos de Stéphane Geyres et Laurent Seiter dans Pour Ainsi Dire, en plus des passages de Rothbard sur la justice dans Éthique de la liberté (premier ouvrage libertarien en ma possession), qui m’ont donné envie de me lancer dans cette tâche laborieuse. J’arrivais à percevoir les multiples possibilités qu’offrait la Libéralie selon l’angle par lequel on décidait de l’aborder. J’y voyais là une occasion pour apporter ma contribution à la guerre culturelle. Ne pouvant plus me retenir, j’ai réfléchi à la méthode avant de me lancer dans la rédaction.

La méthode recherchée

Concernant la méthode, je ne pouvais pas me contenter de recopier la construction classique d’un arrêt de juridiction suprême française (Cour de cassation ou Conseil d’État), comme me le suggéraient des réflexes profondément établis. Dès lors que, dans la doctrine libertarienne, les institutions de justice actuelles sont remplacées par des entreprises d’arbitrage/cours d’arbitrage, il m’a semblé logique de me référer à de réels documents d’arbitrage (notamment anglo-saxons).

Ceci explique qu’un contre-arrêt (présenté comme contre-rendu et contrat d’arbitrage au sein du texte) comprend dix parties (dont les plus centrales sont les IV, V et VIII). Étant donné que chaque texte est une « réaction » à un arrêt précis de la jurisprudence positiviste ou à une tendance de cette dernière, les contre-arrêts sont calqués sur de vraies décisions de (pseudo) justice. L’arrêt initial est présenté au début, avant de laisser place à une version libertarienne (avec une adaptation des faits et donc une projection poussée), le tout clôturé par une note comparative.

Reprendre les faits d’un arrêt et remplacer sa base légaliste par une base jusnaturaliste (par défaut) ou par un positivisme contractuel (donc légitime car fondé sur le consentement). Transposer ensuite le monde étatique au monde librement civilisé pour finir par dégager des syllogismes propres à la Libéralie fictive. Voilà la méthode derrière la contre-jurisprudence libertarienne. C’est également une alternative au commentaire classique (très barbant, croyez-moi), vue sous un prisme ouvertement libertarien, sans complaisance envers les absurdités de l’État.

Les premiers résultats

Si le projet est attrayant de prime abord, il peut s’avérer fastidieux lorsqu’on ignore par quel bout le prendre, tout en étant obligé d’avoir à chaque fois un travail de documentaliste et de copiste (pour la partie commune à chaque contre-arrêt). Mais le goût du fruit d’un labeur peut dépendre de la difficulté (subjectivement perçue) de celui-ci. Me concernant, j’y trouve mon compte dans la partie adaptation, donc fictionnelle, qui me fait renouer avec ma passion de romancier en herbe (ce que je suis avant tout), et l’élaboration d’un système positiviste (aujourd’hui accaparé par l’État mais désignant avant tout le droit posé entre individus), reposant sur les principes jusnaturalistes essentiels (Propriété, NAP, Négociation et Contrat). C’est d’autant plus évident dans le deuxième contre-arrêt, et j’espère que cela le sera d’autant plus dans les prochains.

Quoi qu’il en soit, j’arrive à faire travailler mon imagination et à me « projeter » dans le monde libre (qui est autant mon objectif que celui de tous les membres REPO et anarcaps français). C’est une expérience nouvelle pour moi que de sortir du cadre de la fiction récréative pour m’essayer à la pensée, qui finit par me ramener à une fiction réfléchie. Je pense que c’est à la portée de tout un chacun sur REPO, alors n’attendez pas : créez putain !

Pour lire un exemple du travail de Lienad : exemple de contre-jurisprudence libertarienne

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