Qu’est-ce qui distingue une fonction utile d’un parasite social ? À travers le théorème de régression politique, ce texte décortique avec mordant la frontière entre l’économie productive et la contrainte parasitaire. Une leçon limpide pour mieux reconnaître les tumeurs de la société et célébrer les fonctions qui la font prospérer.
L’économie est une science plus dure que le crâne de Motörhead : c’est une science invincible. Ses théorèmes la rendent insubmersible, même lors des plus intenses tempêtes idéologiques. Par exemple, quels que soient les décrets autocratiques, les planifications socialistes, ou les résultats du dernier machin démocratique, il faut produire avant de consommer, plafonner les prix provoque des pénuries, l’utilité marginale décroit, imprimer de la devise provoque des bulles, sans prix de marché pas d’allocation rationnelle des ressources, parmi de nombreuses inéluctabilités. Ces conclusions restent bien au sec, Roger n’a pas besoin de tuba pour savoir qu’elles sont vérifiées aussi longtemps que 2 + 2 = 4.
Interloqué du dessus, Roger se demande s’il est possible d’établir un théorème permettant de qualifier une activité comme économique, ou politique. Dans le premier cas, l’auteur de l’activité est heureux de vivre. Dans le second cas, il meurt de faim. Roger l’intitule « Le théorème de régression politique », pour lequel il obtint le prix Nobel de Constatation 2024, ce qui n’est pas anodin. Malgré ce titre impressionnant, c’est désarmant de simplicité, et c’est à cela que l’on reconnait la marque du génie. Pour savoir si la fonction qu’occupe une personne est une fonction productive, économique, ou une fonction parasitique, de streptocoque, il faut remonter d’un cran, avant l’existence de cette activité. Si dès le début la personne commence à mourir, ce n’est pas une fonction économique.
Imaginons une société qui se forme sur une île déserte à la suite d’un naufrage. Les gens se spécialisent dans les fonctions qu’ils préfèrent, et plus probablement dans celles où ils sont les plus productifs, tant mieux si ça se superpose. Certains chassent des biches pour faire des gigots, d’autres capturent les vaches et les chèvres de la forêt pour faire du fromage, d’autres encore fabriquent des pelles. Ces offres répondent à des demandes. Soudain, une nouvelle fonction surgit. Un soir, autour du feu, l’un des résidents déclame des poèmes, le soir suivant il raconte une histoire de colimaçon, le lendemain encore il raconte une demi-légende alsacienne. Les autres gens lui apportent des poissons et des fraises pour qu’il continue, ils veulent savoir la suite. De fil en aiguille, ce conteur a tellement de succès qu’il est obligé de construire un frigidaire pour ranger tous les émoluments comestibles qu’il reçoit, alors il arrête de biner son potager, il revend sa pelle et se consacre à plein temps à son art. Il mange de nombreux gigots de biches, des tartes aux kiwis, et plusieurs femmes baissent leur slip. Sa fonction est belle et bien économique. Il échange le plaisir de l’imaginaire contre des chairs en chair et en os, les fonctions se complètent et s’enlacent dans l’harmonie des jus tièdes.
Toutes ces fonctions relient les organes de la société insulaire, qui prospère comme une écume voluptueuse.
Soudain un mardi matin, agitation sur l’île : une autre fonction surgit. Un vilain petit monsieur aigre avec des poils peu encourageants monte sur une chaise au milieu de la place du village et déclare à l’assemblée que pour échanger des biches contre d’autres trucs, il faudra désormais lui montrer les biches afin qu’il les inspecte. Chaque biche approuvée sera tamponnée par ses soins, en guise de permis d’échange. En échange de ce service, le vilain petit monsieur prélèvera un contrefilet et deux côtelettes par biche. Son annonce terminée, il descend de sa chaise, et s’assoit dessus, derrière son guichet en bambou, un tampon à la main. Les autres gens haussent les épaules et reprennent leurs activités, dont la chasse à la biche.
La demande est nulle pour cette activité de permis et d’inspection. L’organisme social ne voit aucun électrolyte à en tirer. À peine installé, le petit monsieur âcre dépérit derrière son guichet, la famine le guette, on en déduit que cette activité n’est pas une fonction prometteuse pour sa survie personnelle ni celle du village. Ce n’est pas une fonction, c’est une lésion. Le vilain petit monsieur aux poils médiocres se renfrogne. Il doit abandonner son guichet et reprendre sa pelle.
Revenons chez nous, au beau milieu de notre vrombissante démocratie. Considérons une activité au hasard, celle du boucher. Il vend des morceaux d’animaux morts. Si on le remonte d’un cran, le boucher est-il analogue aux chasseurs de biches, ou au vilain petit monsieur mal-velu ? Boucher : fonction ou lésion ? Au premier abord, la viande connecte le boucher et le chasseur de biche, mais n’en restons pas là. Une observation plus méticuleuse confirme bien que le boucher reçoit des devises contre les morceaux d’animaux morts de la part de personnes heureuses de la transaction. Il profite de la demande spontanée pour ses morceaux d’animaux morts qui peuvent être des biches, voire des daims. Boucher : fonction.
Considérons une autre activité au hasard, par exemple celle du douanier qui te demande pourquoi, avec qui, combien de temps, si tu as caressé une vache, si tu rapportes des trucs bons à manger et à boire et à fumer, si tu as du pognon dans tes poches. Si on le remonte d’un cran, en le plaçant au sein de notre village insulaire, le douanier est-il analogue aux chasseurs de biches, ou au vilain petit monsieur semi-pileux ? Parmi tous ces gens qui défilent devant le douanier chaque jour, combien s’arrêteraient pour répondre à ses questions aussi indiscrètes que condescendantes, et se faire fouiller bagages et intestins si c’était non seulement facultatif, mais facturé ? Il est peu douteux que la demande pour le douanier aurait la minceur du neurone du député si on la laissait s’exprimer spontanément. Douanier : lésion.
Cette régression jusqu’au point de demande libre permet de classer toute activité entre fonction et lésion. La fonction est économique, la lésion est politique. Il est important de les distinguer pour reconnaitre les parasites, dont il est toujours satisfaisant de se débarrasser. En effet, dans le cas du douanier, si son activité existe malgré la nullité de la demande, c’est qu’il reçoit ses électrolytes de survie par le biais de la charité, ou par celui du vol, c’est-à-dire par la politique. Le nombre d’organismes de charité dédiés à subvenir aux besoins des douaniers étant zéro à mille décimales près, on en déduit qu’il ne vit que grâce au vol, c’est-à-dire à la politique. Le douanier est bel et bien un énorme parasite, une lésion dont la persistance saigne, draine et phagocyte en grossissant, c’est une tumeur. Le théorème est formel.
Le lecteur et la lectrice auront avantage à s’entrainer au théorème de régression politique en l’appliquant aux activités suivantes : vendeur de passeports, décerneur de permis de construire, maire, adjoint au maire, conseiller municipal, ministre, conseiller de ministre, garde républicain, urbaniste, directeur de bureau de vote, président de commission, membre du fisc organisé, Vincent Dindon, empereur, lobbyiste, sergent, chef de cabinet, bourreau. Fonctions ou tumeurs gluantes ?
Le théorème de régression politique permet d’y voir plus clair quand on a les paupières alourdies par la vase républicaine. Il nous aide à voir toutes les petites trompes pointues des parasites, et leurs crochets bien aiguisés. Apprenons le théorème de régression politique à nos enfants afin de leur faire gagner du temps, et remercions Roger pour cette constatation en forme de rasoir d’eau calme. Il ne reste qu’à l’utiliser pour amputer les parasites, sans oublier de bien cautériser, ou alors à s’embarquer pour l’île aux biches, où les gens ont l’air un peu plus sains d’esprit et de cœur.